Tout doit changer pour que rien ne change

Publié le 2 Mai 2017

A propos de l'élection présidentielle Française. A destination des électeurs de François Fillon. 

Beaucoup de Français hésitent encore pour le deuxième tour de l’élection présidentielle française de 2017. Ils n’apprécient pas Macron, candidat surfait et faux dans bien des manières, héritier honteux – mais héritier quand même – d’un quinquennat honni. Mais en face, Marine Le Pen leur fait peur. Ils acquiescent à certaines de ses sorties, ils la trouvent courageuse, parfois même sympathique, mais doutent de sa capacité à présider la France. Ils craignent par dessus tout l’embrasement général et, disons le pour eux, la perte définitive des quelques acquis qu’ils possèdent encore. « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » dit un dicton populaire. La bourgeoisie française résume son esprit actuel par ce bon sens populaire. Ceux qui, en effet, ont pu se maintenir dans le cadre de la mondialisation, ceux qui possèdent encore quelques biens, des petites économies, un travail ou une rente, craignent le saut dans l’inconnu. On l’a vu dans les statistiques électorales : pour la plupart, ceux qui votèrent Marine Le Pen au premier tour sont ceux qui n’avaient plus rien à perdre, ou qui ont été gagnés par le fatalisme. Economiquement, ce sont des perdants, ou, savent-ils d’instinct, des futurs perdants. Pour la bourgeoisie, l’affaire est différente. Qui détient ne peut se résoudre au pire. Ce qu’on détient, on espère pouvoir le conserver encore. Alors, si Macron n’est pas la panacée, au moins pensent-ils que cela n’empirera pas, ou alors que la chute, constante depuis quelques décades, continuera à un rythme somme toute acceptable – supportable. Les yeux fermés et la mort dans l’âme, ils voteront donc Macron le 7 mai 2017.

 

La bourgeoisie et le populaire, pourtant, ont beaucoup de choses en commun, et peut-être la plus essentielle d’entre toutes : à eux deux, ils sont encore l’ancienne France qui demeure. Pendant longtemps, ils se regardèrent en chien de faïence : la lutte des classes faisait rage, mais tout ce conflit social se déroulait, en définitive, entre Français. C’était une affaire de famille, ni plus ni moins. Aujourd’hui, la donne est différente : cette ancienne France a perdu pied et se réduit partout à peau de chagrin. Deux catégories les remplacent petit à petit : une nouvelle bourgeoisie mondialisée, en Nike, en anglais et en starts-up, se substitue à l’ancienne bourgeoisie française ; quant au populaire Français, c’est tout un prolétariat et un lumpenprolétariat venu du Tiers-Monde qui lui disputent désormais sa condition existentielle. En fin de compte, ce que partagent les deux branches de l’ancienne France, c’est l’insécurité, qu’elle soit économique ou culturelle, à des degrés différents, et surtout, à des niveaux de conscience inégaux. Le populaire, lui, a tranché. Il vote et votera Marine Le Pen. La bourgeoisie, elle, tremble trop pour penser et voir correctement. La prochaine sur la liste du déclassement, c’est elle, mais elle préfère encore profiter de la dernière cigarette avant l’exécution plutôt que de tenter une échappée.

 

Cette bourgeoisie devrait regarder à nouveau le chef d’œuvre de Visconti, le Guépard, afin de réfléchir à la sentence qui sous-tend ce film magnifique : « tout doit changer pour que rien ne change ». Marine Le Pen au deuxième tour, rejointe peu à peu de quelques éléments de droite, est une situation inédite. Cette droite a été bien incapable durant des années à s’assumer comme telle et à faire le devoir qui incombait à son camp et à ses idées. Elle en est punie : désormais, c’est de la marge que viendra la recomposition. Cette marge, incarnée par Marine Le Pen, n’est pas parfaite. C’est un fait. Elle hésite, ou paraît hésiter (ce qui, en politique, revient au même), sur ses décisions économiques. Elle souffre encore d’une mauvaise réputation. Elle inquiète, elle interroge, elle fait frémir. Toutefois, certains « moments » historiques dépassent les personnalités qui en sont en charge. Ce qui se déroule sous nos yeux est une recomposition idoine aux exigences de notre siècle. La France qui demeure face à la Cefran qui veut vivre. Une droite nouvelle, qui se construit peu à peu, laborieusement, dans la douleur, mais qui se construit quand même, face à une gauche qui assume depuis longtemps son goût pour une civilisation nouvelle et le changement radical qu’elle dissimule habilement sous le vocable « progrès ». Nous étions habitués à notre ancienne droite et notre ancienne gauche, quand l’une et l’autre n’étaient que le miroir de l’ancienne et éculée lutte des classes. Les deux n’existent plus dans ce second tour et, je le crois, diminueront encore dans les années suivantes. Nous avons changé de siècle, et le clivage politique que nous connaissions doit aussi changer. Telle est la leçon de cette élection présidentielle.

 

L’adaptation est la marque des peuples forts. La bourgeoisie française, celle qui a voté François Fillon, doit s’adapter, sous peine de finir dans les poubelles de l’Histoire. Elle doit prendre en compte le nouveau clivage qui nait, mais doit aussi le prendre en mains, car la marge, Marine Le Pen et le Front National, a besoin d’elle. En joignant Marine Le Pen, alors elle pourra juguler l'hubris populiste, et donc se rassurer elle-même. Ce que le pays et le siècle demandent, c’est d’une grande alliance représentant l’ancienne France dans ses deux avatars, populaire et bourgeoise, pour penser et gérer les temps à venir. J’ajoute, toutefois, que cette alliance ne pourra se faire sur un projet uniquement réactionnaire, ou du « retour à (…)». Cette alliance devra avoir un projet pour l’avenir. C’est ce que, collectivement, nous devons créer et penser. En attendant, nous pouvons déjà commencer par mettre en l’air l'établissement politique en votant, ensemble, Marine Le Pen. A défaut du reste, voilà qui serait déjà un premier pas bien senti pour avancer et, surtout, être à l’heure. En définitive : pour commencer à tout changer pour que rien ne change.

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