Luc Besson, Lucy et la métaphysique européenne

Publié le 23 Août 2014

Puisqu'il est préférable que je ne dise pas tout ce que je pense – pour l'instant – des évenements du proche et moyen orient qui font l'actualité brûlante du moment, j'aborderai des sujets beaucoup plus légers, plus abstraits, même si à bien des égards ceux-ci nous ouvrent (ou plutôt nous entrouvrent, n'exagérons pas) des pans de la réflexion qui appartiennent au plus fondamental du mystère de l'existence.

 

Je suis allé voir le film Lucy de Luc Besson, avec Scarlett Johansson et Morgan Freeman. 

Luc Besson, Lucy et la métaphysique européenne

Même si Luc Besson est souvent décrié pour ses productions au rabais qu'il commet deux à trois fois par an avec sa société « Europa », et même si humainement il semble être parfois un gauchiste de la pire espèce, je ne peux m'empêcher de l'apprécier, de l'apprécier même malgré lui. Certes, les films qu'il produit et écrit sont trois fois sur quatre de la grosse daube aux scénarios tout droit sortis de fast-food des scripts, mais les films qu'il réalise et dans lesquels il met vraiment de lui-même sont souvent de sacrées réussites. Sa méthode, connue désormais, consiste à produire des daubes pour grand public afin d'engrenger de l'argent pour ensuite pouvoir réaliser ses propres films. Par ce processus, il peut concurrencer les géants du cinéma américain sur leur propre terrain : celui du divertissement. Luc Besson est donc, consciemment ou pas, une sorte de patriote. Il prend un malin plaisir à faire tourner dans ses superproductions des acteurs français et européens, il déploie une énergie remarquable à développer sa cité du cinéma pour doter la France de structures équivalentes à celles des Etats-Unis ou d'autres pays européens, plus en avance que nous en ce domaine, hélas, et il réussit brillement dans les box-offices américains avec des productions presque à 100% françaises ou européennes, ce qui n'est pas, loin s'en faut, donné à tout le monde.

 

En réalité, il nous faudrait plusieurs Luc Besson. Le cinéma français, s'il peut être chiant, laborieux et de peu d'ambition, possède souvent une sensibilité et une audace – y compris dans le genre du divertissement – que n'a pas le cinéma américain. De plus, la France a quelque chose que tous les autres n'ont pas nécessairement et qui mériterait d'être exploité à fond : son histoire et sa littérature comme sources d'inspiration. Je regardais l'autre jour le film « Le majordome » sur le « nègre de maison » de la Maison Blanche qui traversa toute l'histoire contemporaine des Etats-Unis et je me disais qu'il était fascinant de voir à quel point les américains pouvaient sublimer leur histoire par des dizaines et des dizaines de films sur elle. Eux qui n'ont quasiment pas d'histoire, voilà qu'ils la mettent constamment en scène (toujours ou presque à leur avantage) et deversent leurs productions sur le monde, faisant qu'il ne m'étonnerait guère que n'importe quel petit occidental de l'Europe de l'Ouest connaisse mieux la maigre histoire des Etats-Unis que celle de son propre pays, pourtant cent fois plus glorieuse et grandiose. Je me prends à rêver de sociétés de productions françaises et européennes qui parviendraient à réaliser des films à grand budget, et par un prisme patriotique (comme les américains), sur notre histoire à nous : je suis certain que notre propre vision de nous mêmes en serait fondamentalement changée, de manière plus significative encore que ne pourraient le faire des hommes politiques avec leur discours ou des manuels scolaires avec leurs leçons.

 

Bref, j'ai aimé Lucy car en plus de maîtriser parfaitement le genre du divertissement (rythme parfait, aucune longueur, véritable sensation de fantastique), le film intègre des reflexions qui, si elles ne sont que survolées (ce qui est naturel pour un film à vocation grand public), sont toutefois très intéressantes. C'est un peu comme le Grand Bleu, chef d'oeuvre, là, pour le coup, de Luc Besson, qui nous entrebaillait la porte d'une pensée profonde sur le rapport au monde, la solitude et l'appel de l'immensité. Lucy a le mérite de nous interroger sur le temps, l'intelligence et la nature même du monde. Quand Lucy (attention au spoil), parvenant à maîtriser 100% de son cerveau, disparaît aux yeux des hommes pour intégrer totalement l'univers, comment ne pas penser à la philosophie hindouiste, ou, plutôt, brahmanique, sur la capacité des êtres vivants à intégrer l'âtman – l'âme du monde ?

 

Philosophie moniste, ou panthéiste, qui veut que l'univers ne soit qu'un, constitué d'une seule et même substance dans laquelle il serait possible de plonger afin de tout pouvoir maîtriser et sentir. Ce que les bouddhistes ont vulgarisé avec le concept de l'illumination se trouve dans ce film illustré par le biais, fantastique, de la capacité d'un homme à pouvoir exploiter l'ensemble des possibilités de son cerveau. On peut même trouver dans la réflexion sur le « temps comme seule mesure de l'existence », que révèle Lucy aux scientifiques, une dose d'Heidegger : façon de postuler que si l'univers est un, l'existence et l'essence sont d'un même tenant – et que l'être, par nature, se déploie et se manifeste, le temps restant par conséquent notre seule façon d'appréhender ce déploiement.

 

Il est très intéressant de constater comme revient, en Occident, une philosophie panthéiste, et donc, païenne, fort éloignée du dualisme et de la métaphysique chrétiennes. Celle-ci ne dit sans doute pas encore son nom, il se peut même qu'elle ne le connaisse même plus et qu'elle ne s'exprime que par laspsus et manifestations inconscientes, mais dans le parcours métaphysique de l'Europe, ce retour aux origines est peut-être signifiatif d'un mouvement dont on ne peut dire encore quel sera l'aboutissement. Serait-ce là le symptôme d'une nouvelle renaissance métaphysique européenne ou, au contraire, une façon de boucler la boucle et de nous précipiter vers notre mort ?

 

Impossible, aujourd'hui, de le savoir. Mais quoiqu'il en soit, le film sera intéressant à regarder. 

Publié dans #journal

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G
Elle a un nom "Jean Duns Scot".
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S
Peut-etre en effet est-ce la fin des religions abrahamiques que sont le christianisme, le judaisme et l'islam, en conflit du seul fait de leurs existences.
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@
En effet, au lieu de nous borner à refuser tout ce qui vient des USA comme le font la plupart des patriotes français par défaut que nous avons, nous devrions sérieusement penser à mettre en valeur notre Histoire, quitte à ce que l'investissement soit fait un jour par le ministère de la Culture (dans l'utopie où la France ne serait plus dirigée par l'anti-France), qui, pour la première fois dans l'Histoire de la France, aurait un rôle constructif.<br /> <br /> Les blockbusters n'ont pas besoin d'être stupides pour être des réussites financières, et notre Histoire regorge de sources d'inspirations et de scénarios incroyables qui ne demandent qu'à être transcrits sur le grand écran.
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